LA PIPE AU XIXe SIÈCLE

Parmi les livres les plus curieux et les plus intéressants sur les pipes, publiés en France au siècle dernier, il y a certainement le petit « Traité théorique et pratique du culottage des Pipes », édité à Paris probablement entre 1860 et 1870, bien qu'il manque une date. (Le titre complet est : « Traité théorique et pratique du culottage des Pipes. Œuvre posthume de CULOT, libre penseur, philosophe éphectique, professeur honoraire de Pipe à la Société Œnopine, membre de plusieurs autres sociétés buvantes - Paris, Étienne Sausset, Libraire-Éditeur »). J'ai souvent parlé de ce livret dans mes écrits : et puisqu'il est maintenant introuvable, je crois que nos lecteurs pourraient être intéressés de connaître son contenu, qui - entre autres - constitue un miroir fidèle de l'époque en ce qui concerne les pipes utilisées alors et les fumeurs de pipe. C'est pourquoi j'ai décidé de compiler un large résumé du livre et de le publier (en épisodes) dans notre magazine : j'ai essayé de laisser intacts les points essentiels, pour maintenir le caractère général, propre au livret, en éliminant en revanche les longueurs de peu d'importance. Je dois aussi ajouter que - puisque dans la langue italienne il manque l'équivalent exact du mot « culottage » - j'ai dû traduire le mot par « brunissement », bien que je me rende bien compte de l'imprécision de ce terme, qui est cependant le mieux adapté - dans la plupart des cas - au sens du texte français ; parfois, il m'a semblé indispensable d'utiliser directement les mots « culottage » et l'horrible « culotter » italianisé.

 Je commence immédiatement la traduction résumée, en maintenant la division en chapitres de l'original.

  Introduction

Quelques pages sont consacrées aux polémiques entre médecins - déjà en cours à cette époque - sur la nocivité, ou non, du tabac ; l'auteur poursuit en disant que la pipe a triomphé sur toute la ligne et que même la femme a dû s'incliner devant cette fatalité : il ajoute que la Parisienne est l'être de la création qui résiste le plus longtemps à la fumée du tabac et que « l'acclimatation aux environnements imprégnés de fumée fait désormais partie de l'éducation de toute jeune fille de bonne famille ». Il conclut en trouvant très étrange que la science soit restée jusqu'alors muette sur le phénomène étrange du « culottage » des pipes, malgré le règne incontestable du tabac et la pipe étant le moyen le plus répandu de le brûler : il en résulte la nécessité d'écrire un livre à ce sujet. L'auteur estime que son traité est le meilleur existant sur ce sujet, mais il demande l'indulgence du lecteur, car il a dû créer seul un sujet, jamais développé auparavant : en bref, « apportant la première pierre, il ne l'a fait que grossièrement : à d'autres de la raffiner ».

  Chapitre préliminaire

 — De la prééminence de la pipe.

L'auteur se demande pourquoi on fume tant de cigares, alors que tous les fumeurs sérieux - sans exception - proclament la supériorité de la pipe ; il refuse ensuite de parler de la cigarette, « ce jouet d'enfant, cette eau sucrée du tabac ». La raison de la forte consommation de cigares doit se trouver dans le fait qu'il était considéré de mauvais goût (à l'époque, pas maintenant !) de fumer la pipe dans la rue : pipe égale peuple. Mais l'auteur pense que, en époque de démocratie, cela est un éloge et une raison de plus pour aimer la pipe et pour la montrer ostensiblement à la lumière du soleil : ceux qui fument la pipe uniquement chez eux - ajoute-t-il - sont disposés à se sentir peuple uniquement à portes closes ! Le chapitre se termine par la certitude que la pipe deviendra à l'avenir un indice de bon goût et que ses avantages sur le cigare en termes d'arôme et pour des raisons de santé - sont tels, que l'on peut « proclamer la royauté de la pipe » et conclut « tout fumeur qui se respecte ne peut rien fumer d'autre ».

  Chapitre I

 — De la division de ce traité.

Il comprend seulement quelques lignes, pour clarifier que trois choses doivent être considérées dans le problème du culottage des pipes, à savoir : le tabac, la pipe elle-même, la manière de la fumer. Chacun de ces points sera l'objet d'un chapitre. D'autres informations suivront et le dernier chapitre contiendra quelques considérations générales.

  Chapitre II

 — Du tabac.

Quelques notes générales sur le tabac et sa culture : il semble inutile de les résumer ici car ce sont des choses bien connues et notre magazine en a souvent parlé. Il est fait mention du fameux « caporal » et d'un autre tabac, alors spécialement produit pour les militaires sous le nom de « tabac de cantine » (le mot « cantine » signifie « cantine », avec une référence claire - dans ce cas - aux cantines des casernes). Il semble qu'à cette époque certains fumeurs le préféraient au caporal, bien qu'il ait le défaut - s'il est humide - de devenir amer à chaque bouffée et de fournir une fumée âcre et piquante ; cependant, il brûlait bien lorsqu'il était sec et dans cet état, il était moins fort que le caporal, bien qu'il produisait un culottage plus noir dans les pipes que le caporal habituel. L'auteur se demande ensuite s'il est préférable de fumer le tabac humide ou sec : une grave question qui divise les fumeurs et a une grande influence sur la façon de remplir la pipe, de la fumer, sur la formation du culottage et sur le goût même du tabac (comme on le verra mieux au chapitre IV). Pour sa part, l'auteur préfère le tabac à l'état sec (mais une note en bas de page de l'éditeur affirme que - pour faire une bonne pipe - il est nécessaire que le tabac ne soit ni trop sec, ni trop humide et recommande un mélange des deux). Cependant, l'auteur admet qu'il peut y avoir des fumeurs d'avis contraire au sien et suggère à ces derniers d'humidifier le tabac trop sec en l'enfermant dans des pots avec quelques tranches de carotte crue. Il ajoute également que le tabac trop sec se réduit facilement en poudre, brûle trop rapidement et peut souvent obstruer le tuyau des pipes.

  Chapitre III

 — Des pipes.

 Le choix d'une pipe est sans aucun doute - pour le fumeur - l'un des actes les plus importants de la vie ; mais qui pourrait énumérer les infinies variétés de pipes qui sollicitent sa préférence ? Pipes en argile : marseillaises, belges, hollandaises, parisiennes... Pipes en écume, en fausse écume, en porcelaine, en bois, en métal... L'auteur renonce même à tenter une simple liste. On a fabriqué des pipes avec la tête du fémur humain pour le fourneau et la fibula pour le tuyau : elles n'ont qu'un seul défaut, celui d'être infumables. Il existe des pipes en noix de coco, en verre, en corne de cerf (que l'auteur dit s'être bien gardé de fumer !) ; il ajoute qu'un camarade de collège a une fois arraché toutes les plantes de fraises du jardin pour trouver une racine adaptée à la fabrication d'une pipe ! Et puis la forme, le degré de cuisson, etc. ne sont pas moins importants que le matériau dont la pipe est constituée. Quelle Ariane - ou Dédale ! - te donnera le fil conducteur pour te diriger dans ce labyrinthe ? Seule la raison éclairée et un jugement ferme et sûr, basé sur l'expérience et une profonde connaissance des principes, pourront te mettre à l'abri des erreurs et de leurs conséquences désastreuses.

L'auteur conseille tout d'abord d'acheter uniquement des pipes qui culottent : la porosité - comme nous le verrons mieux plus loin - est l'une des conditions de la qualité d'une pipe, et si une pipe ne culotte pas (ne culotte pas), cela signifie qu'elle n'est pas poreuse. Élimine donc de ta collection - lecteur ! - les pipes en porcelaine, chères aux Allemands. La pipe en bois, généralement fabriquée à partir de la racine d'Erica, bien qu'elle ne vaille pas la pipe en argile (mais ici le soussigné est profondément en désaccord !) est préférée par un grand nombre de fumeurs imprudents, aux doigts meurtriers. Hercule, le très fort, fumait des pipes en bois. Cependant, puisque l'on ne peut pas dire que la pipe en bois « culotte » du fait qu'elle noircit en vieillissant, elle sort ainsi du sujet du livre et n'en sera pas discutée.

Il est ensuite fait mention des pipes en écume qui - selon l'auteur - sont considérées par les ignorants comme les meilleures pipes uniquement parce qu'elles coûtent beaucoup (mais dans une note l'éditeur dit ne pas être d'accord avec cette opinion et considère au contraire qu'une pipe en écume bien fumée et culottée est souvent supérieure à une pipe en argile). Pour revenir aux opinions de l'auteur, il continue en disant que les écumes sont généralement plus douces, de formes plus élégantes et plus ornées : cependant, le fumeur sérieux, ami de l'ancienne simplicité, ne considère pas que ces qualités soient suffisantes pour compenser leur infériorité - en ce qui concerne le goût - par rapport à leurs rivales en argile.

Encore plus grave est la condamnation des pipes de luxe, en ambre ou en métaux précieux, or et argent ; ces instruments sont destinés uniquement à être vus, ad pompam et ostentationem, et l'on se tromperait beaucoup en croyant qu'ils sont faits pour être fumés. Ils sont en plein exercice de leurs fonctions uniquement dans les vitrines des marchands. Ce sont de splendides jouets, que l'on peut offrir à ceux qui ne fument pas, ou aux fumeurs. Telle était la pipe d'honneur du maréchal Sobieski ; telles étaient de nombreuses pipes qui constituaient la collection du maréchal Oudinot.

Si les pipes en argile avaient un quart des défauts des pipes de luxe, elles seraient méprisées et raillées. Ainsi, les pipes en ambre sont d'une telle fragilité qu'un refroidissement brusque suffit à les casser : il est nécessaire de les envelopper, après les avoir fumées, comme un cheval de course qui a remporté un prix. On a fabriqué des pipes en fer, en plomb, etc. Les pipes métalliques - comme les pipes en ambre - sont recouvertes d'argile à l'intérieur du fourneau. L'ambre est une résine fossile qui, sans cette précaution, se consommerait peu à peu ; et en ce qui concerne les pipes métalliques, le tabac brûlerait trop rapidement au contact du matériau dont elles sont faites : un inconvénient qui - avec le manque de porosité - en rendrait le goût exécrable. Ainsi, on peut dire que toutes ces pipes sont des pipes en argile, recouvertes d'ambre, d'ivoire, d'agate, d'or, d'argent, etc.

Reste la grande famille des pipes en argile, une immense famille, dans laquelle la différence de la matière première et de son travail ont créé un nombre illimité d'espèces et qui attend encore son Linné pour compléter sa classification. Quelques mots seront dits sur les races les plus importantes de pipes ; et, puisque à tout seigneur tout honneur, nous commencerons par les pipes françaises.

Giuseppe Ramazzotti